Lettre ouverte d’une fille victime d’une grossesse précoce
Au détour d’un échange avec d’une spécialiste en psychotraumatologie nous avons pris connaissance d’un texte écrit par un jeune togolais du nom de Emile Dzidjinyo.
Le texte parle des problèmes que nous rencontrons souvent dans nos familles, dans nos interventions quotidiennes en tant qu’organisations sociales. Le texte parle des grossesses indésirées, des grosses précoces et de la nécessité d’ouvrir le débat sur cette situation au sein de nos maisons de nos écoles, de nos centres.
Nous vous laissons découvrir le texte dans son entièreté. A la fin de la lecture, rappelez-vous que vous pouvez faire quelque chose autour de vous.
Hô-nam
Quand tout est achevé,
Une vie n’est plus, Une autre dépérit
Avec, s’estompe le plaisir moribond
D’une enfance incrédule,
D’une adolescence à peine biaisée
Et pourtant, ce petit être innocent
Le cœur meurtri, l’âme glacée
Que le jour finit par fuir
Et pourtant, cette petite « être » innocente
La pugnacité fébrile // Dont le bassin pleure l’immaturité
Victime indéfectible de l’éducation
Hô-nam pour que je vive
Hô-nam parce que je souffre // Les vents chauves de la sensibilisation
M’ont égratignés // Une nuit de naïveté, une nuit d’insouciance
Et je pèche le fruit amer de mon erreur //
Une tache indélébile qui me colle à la peau
Désormais, un nouvel avenir
Sous la couette de la mort et de ses disciples
Désormais une nouvelle existence vouée à l’hypothèque
Avant même que mes yeux ne s’ouvrent // Mon destin est touché.
HO-NAM,
Hô-nam (dialecte Ewe, Sud du Togo) : Sauve moi, Viens à mon secours !
Ma vie en quelques lignes
Lettre ouverte
Chers frères et sœurs,
Je viens avec une corbeille d’histoire. Prêtez-moi une oreille attentive pour vous éplucher une à une les plumes de mon histoire ! Effroyable histoire de la pluie et de la tempête, l’histoire de ma vie. Je suis Yawa, originaire d’un pays sous les tropiques, j’ai dix-neuf ans, lycéenne. Ma vie venait de basculer lorsque je fis la connaissance d’un homme qui sans doute aurait l’âge de mon père ; un homme marié. Ma frivolité, ma cupidité, mon attachement au gain facile avaient presque creusé ma propre tombe. Cet homme, tout comme les autres hommes que j’avais connus, me dorlotait car j’avais tout ce qu’une fille pouvait avoir pour séduire à coup sûr un homme : une poitrine bien dégagée avec de beaux et gros seins, de grosses fesses, une corpulence identique à la forme d’une bouteille de « coca-cola ». Bref j’avais l’allure d’une reine.
Exactement comme ces actrices que nous voyons dans les feuilletons. Cet homme dont j’ignorais le vrai nom et que j’appelais affectueusement « Tonton », m’offrait tout ce dont j’avais besoin : argent, bijoux, pagnes, téléphones portables, des sorties romantiques, des shopings. Un jour, après les classes, il m’avait donné rendez-vous dans un hôtel chic de la place. A notre rencontre, mes yeux brillaient d’amour, sur mes lèvres pendantes, s’affichait ce sourire que l’on rencontre sur les lèvres des jeunes filles à leur premier rencard avec un homme. On avait mangé, bu et danser. Il m’avait même offert une sérénade. On avait aussi parlé de nos familles respectives puis il me déposa après à mon école ; et c’était tout. Ce genre de rencontre entre cet homme et moi s’est multiplié avec le temps. Un autre soir, un soir du 14 Février, jour de la « saint valentin », à la plage d’Avépozo (Lieu très fréquenté et apprécié des amoureux), mon « Tonton » et moi, nous nous sommes rencontrés en amoureux. Nous avions beaucoup bu et savouré des mets succulents ; on avait plus nos pieds sur terre ; l’alcool avait pris le dessus sur nous.
Pour nous deux, la vie, « la vraie vie » venait de commencer. Pour moi spécialement, quel bonheur de se sentir aimée et désirée ! Dans tous les cas, c’est ce que je pensais. Ce soir-là, sur ce sable fin de la plage, ce qui devait arriver arriva. Oui ! On l’avait fait, à même le sol, sans préservatif. La nuit prenait peu à peu le dessus sur « ce beau jour » de ma vie lorsque nous sommes rentrés respectivement chez nous. Toute cette nuit durant, éveillée, je pensais à mon « tonton », à mon « prince charmant ». C’est vrai qu’il n’était pas le tout premier homme de ma vie, mais lui au moins, savait « séduire une femme ».
Après ce jour, je n’avais plus aucune nouvelle de lui. Il ne répondait non plus à mes appels téléphoniques. Quelques jours plus tard, il n’était plus joignable sur son téléphone. Des jours passèrent, puis des semaines. Un matin, grande fut ma peur lorsque je ne voyais plus mes menstruations. Oui ! C’est bien ce que l’on peut penser ; je suis tombée enceinte au tout premier contact sexuel sans préservatif avec cet homme que je ne reverrais plus. Les nausées matinales vinrent corroborer ce que je redoutais, les soirées romantiques, les promenades au bord de la mer, les cartons de vin mousseux, les sorties en amoureux sur Kpalimé, les téléphones portables Smart phones, les sérénades, les billets de banque, les pagnes Vlisco et Hollandais que m’offrait cet homme, ce matin, avaient défilé devant mes yeux remplis de larmes comme des papiers qui défilent entre les lourdes machines d’imprimerie. Ma mère fut la première comme toute mère devant de pareille situation à apprendre la nouvelle. Cette dernière avait attristée ma famille. Ma pauvre mère n’a cessé d’encaisser les injures, les reproches et la colère de mon père. Elle en fut très affligée. J’étais devenue la risée de tous, même des plus jeunes de mon quartier.
Nombreuses étaient mes amies qui me conseillèrent l’avortement. Pour certaines d’entre elles, j’avais encore de l’avenir ; pour d’autres, j’ai toujours de « belles choses » pour séduire à nouveau d’autres hommes et me trouver un mari idéal. En effet la conversation entre mon amie Diane et moi finit par m’amener à prendre une décision.
– Yawa, tu as encore de l’avenir devant toi, chère amie. Ne te méprises donc pas à ce point.
– Et pourquoi pas donc Diane ? Vois ce que je suis devenue. Mes mauvaises compagnies et fréquentations ont fini par faire de moi la honte de ma famille. Je porte un enfant qui à la naissance ne connaîtra pas son père. De plus, mon avenir est gâché. Moi qui rêvais un jour devenir une sage-femme après mes études.
– Ô ! « Les bons amis sont faits pour s’entraider » dit-on souvent. Je crois avoir une solution pour toi.
– (je me tourne vivement vers Diane) une solution ? vraiment ?
– Oui, Yawa !
– Laquelle ?
– L’avortement !
– Quoi, avorter ?
– Oui, Yawa avorter ! C’est l’unique solution pour une jeune et belle fille comme toi dans de pareils cas. Tu ne vas de même pas donner la vie à un enfant qui aura plus tard à te questionner sur son papa ?
– Je ne me ferai pas avorter !
– Ah ! ce n’est juste qu’une proposition. Mais sache que seul ton avenir en dépend. Alors penses-y.
Après le départ de mon amie, je m’étais mise à réfléchir sur ma situation. Si seulement je pouvais revoir ce « Tonton », les choses pour moi iraient mieux ! Toutes mes journées n’étaient crémées que d’injures et mépris. L’estime et la confiance de mes proches, je les avais perdues et pire celles de mes amies d’école qui m’encourageaient autrefois dans ma frivolité. Personne dans mon quartier ne me « calculait plus ». Des jours obscurs passèrent puis des nuits amères aussi. Je n’en pouvais plus.
Diane avait bien raison me suis-je dis intérieurement. C’est ainsi que par manque de maturité, j’avais décidé de me faire avorter, d’ôter la vie à cet enfant que je portais et dont j’ignorais le sexe et l’avenir ; cet enfant à qui si j’avais décidé de donner la vie m’appellerait maman. Ce qui n’est pas donné à toutes les femmes. J’avais pris cette décision de me faire avorter dans l’espoir de regagner l’estime et la confiance de tous ceux qui m’ont refoulée. Le lendemain, tôt le matin, Diane m’emmena chez un praticien de la médecine traditionnelle pour me faire avorter en toute discrétion. Ce praticien me fit boire des infusions d’herbes et me congédia en disant : « va ma fille, c’est fini à présent. Après quelques soulagements, on n’en parlera plus ». Le jour suivant, après un sommeil de mort, les soulagements répétitifs m’ont affaibli, j’avais une terrible migraine et des vertiges. La suite je ne m’en souviens plus. Seulement, je m’étais retrouvée sur le lit blanc d’hôpital, mes parents tous en larmes à mes chevets. J’avais perdu l’enfant que je portais et presqu’aussi ma propre vie. Mais Dieu eut pitié de moi et me laissa la vie sauve.
Le Docteur qui s’était occupé de moi, pour me réconforter, me prodigua d’énormes conseils et me suggéra l’abstinence sexuelle. Pour lui, l’abstinence me mettra à l’abri d’éventuelles grossesses précoces, non désirées qui poussent la majorité des jeunes filles de mon âge à avorter avec tous les risques possibles. Après tout ce qui m’est arrivé, après toutes ces nuits cauchemardeuses et jours sombres que j’avais passés, je pense qu’en plus de l’abstinence sexuelle, il faut aussi l’éducation sexuelle. Cette dernière est très importante et doit être intégrée aux programmes d’enseignement de certaines disciplines dans nos écoles.
Chez moi, sous les tropiques, parler de sexe en famille avec les enfants est sujet tabou. Pour nos aînés, ce qu’on défend à nos enfants les attire plus. Pure illusion ! A vous mes sœurs qui lisez ces quelques lignes de ma vie, dites non à la fornication, méfiez-vous de ces hommes aux paroles mielleuses. A vous mes parents, parlez d’abstinence sexuelle à vos enfants. Donnez leur en plus de cela une éducation relative à la sexualité et à l’infection au VIH/SIDA.
Comme moi, beaucoup de jeunes ont une activité sexuelle précoce ; c’est pourquoi ils doivent apprendre ce qu’est non seulement l’éducation sexuelle mais aussi ce qu’est l’infection au VIH/SIDA et comment se protéger contre cette dernière dès le début de l’adolescence, au moment où ils prennent conscience de leur sexualité et sont tentés de l’expérimenter.
Chers parents, l’éducation relative à la sexualité et à l’infection au VIH/SIDA ne constitue en aucun cas pour les jeunes une incitation aux rapports sexuels. Au contraire, elle contribue à leur faire prendre conscience de la nécessité d’éviter les grossesses précoces, non-désirées, les infections sexuellement transmissibles et l’infection au VIH/SIDA. Si seulement j’avais reçu une telle éducation de mes parents, je n’en serais pas là aujourd’hui. Alors faites beaucoup attention à la vie et que les expériences des autres vous servent de lignes de conduite pour un avenir meilleur !
Cordialement,
Yawa.
Emile Dzidjinyo, Agoè, le 14 juillet 16